Lettre ouverte à Françoise Guyon et Gérald Thupinier
Françoise Guyon, je peux enfin me confesser. Je n'ai pas lu l'année dernière Mes mauvaises pensées de Nina Bouraoui en entier et je ne suis pas sûre d'aller au bout du défi que je m'étais fixée: lire les Bienveillantes. Gérald Thupinier (excusez ma familiarité), je vous avoue n'avoir pas terminé le Régis Debray, pourtant foisonnant d'informations. Ne vous méprenez pas, c'est une pratique que j'observe déjà depuis longtemps, le collège, une éternité diront les mauvaises langues (Jéjé, Baba, les anciennes internes...).
Mais je viens de trouver, enfin, mon rédempteur, celui qui m'adouberait comme sa fille de coeur s'il savait à quel point j'ai pu esquiver mes professeurs, un homme qui me bénirait d'avoir rencontré des auteurs célèbres, Yasmina Khadra, Benjamin Stora, et d'avoir portraituré Ismaïl Kadaré dans les journaux du festival de Mouans-Sartoux, sans avoir lu leur bouquins ou tout juste feuilleté. Travers journalistique, paresse impardonnable.
Mais je suis une pêcheresse qui culpabilise, qui se ronge les ongles, qui cauchemarde la veille dans ses draps à l'idée qu'il faudra affronter le lendemain un monstre de culture, de littérature..en sachant tellement peu de chose.
Pierre Bayard, professeur de littérature à l'Université Paris VIII vient d'un seul coup d'absoudre une quantité de journalistes généralistes, comme spécialisés - ne me faites pas croire qu'à Lire, au Magazine littéraire ou à Télérama on lit tous les livres sur lesquels on dit ce qu'on pense...- d'étudiants en galère la veille d'un énorme exposé. Et tous ceux qui préfèrent regarder Desperate Housewives, Prison break ou Sex in the city au lieu de lire le dernier Goncourt ou le Fémina 2007 et se trouvent bien ennuyés dans les soirées mondaines, cultureuses pour donner leur avis, dont tout le monde s'en fout en vérité, sur le dernier d'Ormesseon, Orsenna, Nothomb..ect.
Cet universitaire très sérieux et cultivé au demeurant vient de faire paraître aux Editions de Minuit Comment parler d'un livre que l'on n'a pas lus? dans lequel il parle de ses difficultés à faire cours à des étudiants tout en priant qu'aucun d'entre eux n'ait lu le livre dont il parle.
Voici quelques extraits:
Né dans un milieu où on lisait peu, ne goûtant guère cette
activité et n’ayant de toute manière pas le temps de m’y consacrer,
je me suis fréquemment retrouvé, suite à ces concours de
circonstances dont la vie est coutumière, dans des situations
délicates où j’étais contraint de m’exprimer à propos de livres
que je n’avais pas lus.
Enseignant la littérature à l’université, je ne peux en effet
échapper à l’obligation de commenter des livres que, la plupart
du temps, je n’ai pas ouverts. Il est vrai que c’est aussi le cas
de la majorité des étudiants qui m’écoutent, mais il suffit qu’un
seul ait eu l’occasion de lire le texte dont je parle pour que
mon cours en soit affecté et que je risque à tout moment de
me trouver dans l’embarras.
Le lien pour en lire un peu plus: comment_parler_d_un_livre_que_l_on_n_a_pas_lus